Isabel Pérez Del Pulgar, Reconsolidation
Reconsolidation est une exposition de combat et d’exorcisme dont le noyau est l’album de famille de l’autrice. Organisée autour d’un matériel photographique,mais conçue comme un projet plasticien et pluridisciplinaire, cette exposition invite à se demander : « que faire quand les images sont les seules armes qu’il nous reste pour combattre l’effondrement du monde ? ».
L’album de famille et ses cauchemars
Loin d’être une trace inoffensive, l’album nous fige, bien souvent, à un endroit où nous ne voulons pas être, où nous voulons cesser d’être. Avec ses clichés uniques, glissés pour toujours sous les encoches plastiques, ses dorures, sa couverture épaisse et rigide, sentinelle armée de la légende, l’album exerce une fascination oppressante. On vient y chercher des traces de vérité, mais au fur et à mesure des pages tournées, quelque chose vrille et on se prend à hurler « non, non, ce n’est pas vrai, ce n’est pas ça, ce n’est pas moi ! », tel un dormeur halluciné se débattant dans ses propres cauchemars sans trouver le chemin du réveil. Mais quel est, en l’occurrence, ce mauvais rêve dont il faut s’éveiller ? Isabel a vécu, durant 20 années, une relation sous emprise. Cette histoire est celle de beaucoup d’autres femmes. Après un début romantique le couple se déséquilibre. Un rapport de force s’installe : menace, violence, dépendance économique, contrôle coercitif, isolement, voire séquestration… La « proie » persévère dans un lien qui l’empoisonne jusqu’à ce que, à la faveur d’une menace plus intense, le voile tombe révélant à nu la menace de mort. Dans un sursaut vital, elle prend alors soudainement conscience d’avoir été, de longue date, détournée d’elle-même, isolée, asservie, appauvrie, désorientée… Elle part, se sauve, s’enfuit… Sans retour.»
Une page se tourne
Isabel est partie, emportant avec elle une archive en apparence anodine, faite d’images accumulées dans les années 80-90 : voyages dans les plus belles villes du monde, photos prises au jardin, baisers enamourés, couchés de soleils, scènes de vie heureuse en bord de mer… autant de vestiges d’une vie de couple ordinaire, un couple financièrement et socialement à l’aise. Ces images prélevées au fil des jours sur le quotidien, affichent un bonheur facile, infiniment répété, stocké dans des pochettes de tirages bon marché que l’on peut faire en 24 heures au coin de la rue. On y voit, sur une quinzaine d’années, l’évolution de la facture de ces tirages populaires : les dates au verso, la qualité du papier qui se modifie, la disparition, au fil du temps, de la bordure blanche et des angles arrondis qui cèdent la place à des images plein cadre très brillantes. Un matériel hétérogène de plans filmés en super 8 ou avec une petite caméra amateur, complète cette mémoire de vie conjugale.
Reconsolidation de la mémoire
Le malaise persistant produit par la présence de cette archive a conduit Isabel à se demander ce qu’il convenait de faire pour s’en libérer. L’idée s’impose rapidement que le meilleur moyen est de la transformer, plutôt que de la détruire, de la recycler dans une mise en scène qui reprendrait, en les transgressant, les codes de ces « récits de familles ». Pour s’affranchir de l’absurde et angoissant récit enfermé dans l’album, l’artiste s’inspire donc d’un dispositif médical de traitement du stress post-traumatique appelé Thérapie de la reconsolidation. Elle reprend très librement les grandes lignes de ce protocole de soin et expérimente sur sa propre personne un processus de reconsolidation : des vidéos superposent le souvenir et divers instruments de mesures faits sur le corps de l’artiste ou sur ses images mentales. Les performances rejouent les épisodes traumatiques. Isabel ajoute à cela une réécriture de ses propres archives : un récit sur le récit, déployé dans des variations multiples (cadres, albums, conserves…).